Avant d’aborder les transformations du jardin d’Azay-le-Rideau qui ont donné au domaine son visage actuel, il m’a semblé qu’il serait intéressant de commencer par définir le jardin à l’anglaise qui servira de base au jardin contemporain d’Azay.
Alors le jardin à l’anglaise, qu’est-ce que c’est ?
En vogue, dès le milieu du XVIIIe siècle, le jardin à l’anglaise est fondé sur une esthétique privilégiant le retour à la nature (dans son acception sauvage et poétique). Influencé par les arts d’Extrême-Orient, le formalisme occidental alors modèle absolu du jardin en Europe (nous consacrerons prochainement un article au jardin à la française), est abandonné au profit d’une nature réinterprétée. Les jardins deviennent sinueux, s’inspirant de la typologie du jardin chinois, ils deviennent allégorique dans leurs formes, plus sauvages dans leurs apparences.
La composition du jardin à l’anglaise semble simpliste au premier regard, puisque le but recherché est de donner l’impression au visiteur que la nature est libéré de la main de l’Homme et qu’elle se développe d’elle-même dans le cadre que l’on lui a attribué. La réalité de cette composition est bien sûr bien plus complexe.
L’art du jardin à l’anglaise consiste à construire un espace sauvage. Je m’explique, les principaux éléments composant le jardin à l’anglaise sont : des vallons ou des pentes artificiellement bâtis formant des accidents de terrains qui donneront au visiteur l’impression de se trouver dans un espace que la main de l’Homme n’a pas modifié.
Comme dans tout jardin, le promeneur est dirigé ; mais il l’est par le biais de chemin que l’on voudra tortueux afin de maintenir l’impression de nature indompté du jardin. Pas d’allées rectilignes asservissant la déambulation du promeneur, mais plutôt une sorte d’errance poétique au long d’un chemin que l’on a voulu moins travaillé, mais toujours présent.
Afin de renforcé l’impression de liberté du paysage, les plantations (plantes herbacées, plantes grimpantes, lavandes, roses, etc.) seront choisis et plantés de manières à ce que l’observateur n’ait pas l’impression que l’on a planté quelque chose mais que ce qui pousse dans le jardin y a toujours été. Formes et couleurs seront bien évidemment choisis pour attirer le regard mais sans donner en donner l’impression. Les pelouses deviennent l’élément essentiel du jardin, permettant d’unifier la composition dans un esprit de nature libérée que l’on peut contempler à son gré.
Autre caractéristique du jardin à l’anglaise, son lien inné avec les thèmes du bucolique et surtout du romantique. On prendra donc soin de planter de nombreux arbustes et fourrés ; de créer au besoin des rochers et étangs artificiels qui créeront une impression de mystère et d’apaisement. La main de l’Homme pourra se manifester à l’occasion mais uniquement au travers de la mise en place de bancs ou de petites fabriques de jardin qui serviront à la contemplation du jardin ou à marquer un point de vue particulièrement pittoresque.
L’esthétique du jardin à l’anglaise repose essentiellement sur la volonté de ces concepteurs de donner au paysage une impression de paysage de peinture. On recrée un décor naturel dans une démarche aussi bien artistique qu’architecturale. Le choix des couleurs et des formes ayant pour objectif de composer une « peinture vivante » en opposition au style classique. Le poète Joseph Addison nous donne une bonne idée de l’impression recherchée lorsqu’il affirme qu’il « préfère contempler un arbre dans toute la luxuriance de ses branches et de ses rameaux plutôt que lorsqu’il est […] coupé et taillé en figure géométrique » et l’écrivain Alexander Pope met ces idées en pratique dans son jardin de Twickenham. Pour lui, le refus de la régularité topologique crée une esthétique du renouvellement. Selon lui, au rythme des saisons et des moments de la journée, le jardin « à l’anglaise » offre des sensations et des vues différentes. La métamorphose des éléments crée un lieu constamment renouvelé. Le rapport à la nature et par conséquent au monde, est ainsi réinventé en permanence.
Le jardin à l’anglaise connaît de multiples évolutions au cours de son histoire du XVIIIe au XIXe siècle.
Au début du XVIIIe siècle, ils composent des paysages évoquant l’Antiquité bucolique réinventée selon la pensée du temps. Ouverts sur la campagne, les jardins apparaissent comme appartenant à une nature demeurée indomptée. C’est le « jardin anglais idyllique » .
A partir du milieu du XVIIIe siècle, la composition paysagère se doit d’être sobre et sensuelle. Elle se doit d’entretenir le mystère, tout en provoquant chez le visiteur une certaine langueur. C’est le « jardin anglais sublime » ;
A la fin du XVIIIe siècle, le jardin « à l’anglaise » doit comporter des accidents de terrain (vallons, collines, pentes…) et jouer sur un contraste entre éléments peignés (c’est-à-dire réguliers) et sauvages. Le but étant de jouer sur les effets de contraste et le tumulte silencieux de la nature. C’est le « jardin anglais pittoresque ».
Au XIXe siècle, en Angleterre, le jardin « à l’anglaise » connait des mutations esthétiques sous l’influence de personnalités au tempérament artistique affirmé comme Gertrude Jekyll (1843-1932). À cette période, le jardin « à l’anglaise » se définit comme un lieu d’expérimentation artistique. Gertrude Jekyll introduit les massifs colorés de vivaces en plates-bandes de fleurs, encore employés et admirés de nos jours sous le nom de «mixed-borders» (plates-bandes composées de végétaux de couleurs variées, arrangées selon leurs tailles). De nombreux ouvrages lui sont consacrés. Ce type de jardin est qualifié de « jardin bourgeois », car il accorde une place importante à la « fragmentation maniériste » (comprendre l’organisation structurée selon une certaine manière) des espaces ; et à « l’exaltation de la virtuosité dans le maniement des espèces naturalistes pour produire des effets de couleurs »;
Sous le Second Empire en France, Le jardin à l’anglaise devint l’art officiel des jardins et des parcs urbains, dans la continuité des jardins des plantes, dont le but était autant éducatif, hygiéniste (parcs comportant des fermes-école et des fermes destinées la découverte par les enfants citadins de la réalité de la nature exploitée) qu'esthétique.
La mode du jardin à l’anglaise s’impose en France, durant la période pré et post révolutionnaire. Nombre d’historien ont voulu y voir la revendication de la liberté au travers d’un cadre paysager libéré du carcan rigide du jardin à la française, associé à l’ancienne monarchie…