Après quelques digressions sur le jardin italien propres à nous faire comprendre le bouleversement que connaît l’art des jardins à la Renaissance, nous retournons aujourd'hui en France et au château d’Amboise en particulier. Petit retour en arrière : de retour d’Italie, le roi de France Charles VIII, émerveillé par ce qu’il a vu en Italie et au palais de Poggio Reale (Naples) en particulier, décide de modifier les plans de constructions établis pour le château d’Amboise. Il y adjoint notamment un vaste jardin dans lequel il entreprend d’insérer certains des éléments observés en Italie.
La date exacte de création des jardins d’Amboise n’est pas précisément connue, il est cependant de coutume de la situer entre 1498 et 1503. En effet, l’archiviste paléographe André-Marie Joseph de Cröy (1871-1958) établit que la date de créations des jardins d’Amboise s’étend de 1495 à 1503, se référant pour se faire à un document relatif aux travaux du premier trimestre de 1501, où il est question de maçons et de manœuvres qui ont « besoigné au jardrin du chastel » et d’achats d’entes d’arbres fruitiers. Or rien n’indique d’après Pierre Lesueur qu’il s’agissent là de travaux de création plutôt que d’entretien du jardin. Ainsi, les dates de création du jardin nous échappent-elles.
De même, le nom du créateur du jardin d’Amboise n’est pas connu. Toutefois, de nombreux historiens de l’art attribue le jardin d’Amboise au jardinier Pacello Da Mercogliano (V.1455-1534). Pacello da Mercogliano est originaire de la ville de Mercogliano en Campanie, il travaille notamment dans les jardins palais de Poggio Reale à Naples où il fait la connaissance du roi de France Charles VIII. Lorsque celui-ci retourne en France, Pacello da Mercogliano l’accompagne et il figure dans les comptes du roi soue le qualificatif « Dom Pasello, jardinier », au traitement de 20 ducats de carlins par mois, soit 375 livres tournois par an. Il figure en ces termes sur l’état de leurs « gaiges » ordonnancé le 26 février 1498 et sur le compte de l’année 1498 qui s’y rapporte. Toutefois, aucun document relatif à la création du jardin ne lui attribue la paternité du projet et ce n’est que sur la base d’ un ouvrage de la fin du règne de Louis XVI intitulé : L’ombre de Charles VIII, Amboise et Chanteloup, dû à l’abbé Royer, chanoine de la collégiale du château d’Amboise que le projet des jardins d’Amboise a été attribué à Pacello.
Cet écrit fut présenté au duc de Penthièvre après l’acquisition faite par ce dernier des château et domaine d’Amboise en 1786 et avait pour but de persuader le prince de préférer l’ancienne demeure royale à la maison de plaisance de Chanteloup, qui faisait partie du domaine. L’auteur y prête les paroles suivantes à l’ombre de Charles VIII : « Où sont ces beaux vergers, ces excellents potagers de Château-Gaillard, au-dessous de votre parc, abrités du nord par le coteau, arrosés par la rivière de l’Amasse, dressés et plantés, dans un terrain gras et fertile, par le fameux Passiolo, que j’avais amené de Naples comme le plus grand jardinier d’Europe ?...[2]. »
Il est difficile de croire que l’abbé Royer se référât à une tradition perpétuée pendant plus de trois siècles, et il paraît plus vraisemblable qu’il ait utilisé des documents aujourd’hui perdus, qui faisaient peut-être partie de la bibliothèque du chapitre. Or il n’est ici fait mention que de Château-Gaillard et non d’Amboise. Même si cet autre domaine royal n’est distant d’Amboise que d’un kilomètre, on ne saurait invoqué ce document pour attribuer à Pacello da Mercogliano les jardins d’Amboise.
Toutefois, il est clair au vu des comptes d’Amboise en 1501 que le jardinier avait la faveur du roi, or si les documents sont muets sur l’identité du créateur de ces jardins, les créations postérieurs du jardinier napolitain nous permettent d’établir une parenté certaine avec les jardins d’Amboise. C’est le cas notamment du jardin du château de Blois où Pacello est clairement nommé comme auteur du projet.
La forme des jardins du château d’Amboise nous sont connus grâce à Jacques Androuet Du Cerceau qui leur consacre un plan gravé dans Les plus excellents bastiments de France, deux grands dessins conservés au British Museum, ainsi que deux planches gravées dans Les plus excellents bastiments de France d’après ces deux grands dessins[3].
Dominant la Loire à l’Est de la tour des Minimes, les jardins occupaient une vaste terrasse rectangulaire divisé par des allées se croisant à angles droit. Il se composait de dix larges parterres de fleurs et de buis de forme rectangulaire ou carrée. On trouvait également dans le jardin divers arbres fruitiers pommiers, poiriers, guigniers…
Nous noterons qu’au sud du jardin sur l’allée centrale s’élevait un pavillon de charpente de forme octogonale, couvert d’une sorte de dôme, et dont quatre faces étaient ouvertes par des arcades en plein cintre et les quatre autres flanquées de petites absidioles en demi-cercle : il abritait une fontaine ou bassin
Le jardin était en outre, entouré à l’est et au nord de galeries de charpentes couvertes, il semble qu’il devait également être abrité par une construction surmontant la courtine nord. Louis XII y fera par ailleurs construire une « galerie » à l’aplomb de la courtine et en retrait des balcons (nouvellement construit pour profiter du jardin). C’était une sorte de promenoir assemblé en charpente dessinant des arcades au-dessus d’un petit muret continu légèrement en ressaut. Ce promenoir était pavé de briques et couvert d’une voûte lambrissée sous un toit à deux pentes.
Le jardin est donc clos, en revanche, comme à Poggioreale, le mur sud était en pierre, percé de huit fenêtres à croisillons permettant d’admirer le paysage de la Loire.
Le jardin était alors distant des bâtiments déjà construits et en cours de construction à l’époque de Charles VIII.
L’un des parterres au moins est attribué dans les documents à Pacello da Mercogliano, il était « planté de pommiers, de poiriers, mais aussi, dit-on, d’orangers, décoré tout autour par des treillages différemment peints avec un pavillon octogonal abritant une fontaine et surmonté d’une petite coupole et d’une statue ».
A la description du jardin d’Amboise, une réflexion s’impose immédiatement : nous ne sommes pas en présence d’un jardin à l’italienne comme le roi de France avait pu en observé à Florence ou à Naples. La typologie du jardin claustrale et toujours présente, elle est renforcé par les galeries de charpente qui ceigne le tour du jardin. Si la proportion des parterres s’est accrue, leur disposition reprend l’ordonnancement des préaux médiévaux.
Alors en quoi Amboise est-il un prémisse au changement dans l’art des jardins français ? La réponse se trouve non dans la composition du jardin mais dans son ornementation. Ainsi que nous l’avons vu, le jardin d’Amboise s’ornait au sud d’un petit pavillon de charpente construit en forme de dôme. Si la typologie du pavillon n’est pas nouvelle (elle se trouvait déjà dans les dernières constructions médiévales), l’élément qu’elle abrite lui est nouveau dans ça conception. Nous l’avons dit, le pavillon du jardin abritait une fontaine ou un bassin.
Or cette disposition d’une fontaine sous un pavillon octogone, nous l’avons déjà croisée, rappelez-vous c’était à Poggio Reale. Il s’agit du fameux « tempieto di Marmo », vaste fontaine octogonale à vasques superposées richement ornée de petits putti.
Alors, nous ignorons si la fontaine du jardin d’Amboise était ornée ou non. Toutefois, l’adjonction de cet élément observé à Naples ne nous semble pas fortuit. L’intention clairement affiché par le concepteur du jardin est d’introduire à Amboise le répertoire ornemental italien.
Cette impression d’italianisation du jardin français est renforcée par la présence de nombreuses ouvertures dans le mur d’enceinte du jardin. cette disposition imite celle de Poggio et offre une vue plongeante sur la Loire en contrebas. Le concepteur du jardin introduit ici l’idée d’affranchir le jardin français de ces murs en ouvrant des vues sur le paysage environnant.
En conclusion, le jardin d’Amboise ne constitue pas une révolution dans l’art des jardins français, mais un premier pas vers le changement.
A Amboise nous assistons à l'introduction du répertoire décoratif italien dans le répertoire français, par la suite Louis XII (succésseur de Charles VIII sur le trône de France) entendra faire progresser l'art des jardins français vers de nouvelles directions... Rendez-vous est pris au château de Blois^^
[1] Bibli. Nat., ms.fr.11350, fol. 6 r° et v° et 12 r° et v° ; publié par Anatole Montaiglon, « Etat des gages des ouvriers italiens employés par Charles VIII », dans Archives de l’Art français, Documents, t. I, 1851-1852, p. 108 et 116-117. – Sur le temps de l’arrivée de ces personnes en France, voir : bibli. Nat., nouv.acq.fr.7644, fol. 195 r°-196 r°, quittance de Nicolas Fargot du 24décembre 1495, publ. Par Mlle Dupont dans son édition des Mémoires de Commines (Société de l’Histoire de France), 1843, t.II, p. 585, note I, et par Ludovic Lalanne dans les Archives de l’Art français, Documents, t.II, 1852-1853, p. 305-306 ; et Bibl.nat., ms.fr. 27152 (P.O.668) doss. 15634, pièce 2, quittance de Jean de Chandiou du 25 novembre 1495, publ. Par François Gébelin, Les Châteaux de la Renaissance,1927, p.68, note 6.
[2] E. Cartier, « Notice sur quelques jetons du XVIesiècle », dans la Revue numismatique, t. XIII, 1848, p.430-435.
[3] J. Androuet Du Cerceau, Les plus excellents bastiments de France, 1579, t.II, et édit. En fac-similé par Destailleur et Faure-Dujarric, 1870, t.II – British Museum Print Room, Du Cerceau’s drawning, porfolio V, sheets 67 and 68, le premier inédit, le second reproduit par W.H Ward, French châteaux and gardens in the XVIth century, a series of reproductions of contemporary drawnings… by Jacques Androuet Du Cerceau, London, 1909, pl. I.