La semaine dernière nous avons appris à reconnaître un jardin de la Renaissance italienne grâce à ses structures. aujourd’hui nous allons découvrir son répertoire décoratif.
Sans attendre, nous allons nous intéresser à l’élément décoratif qui sans doute est le plus représentatif du jardin de la Renaissance : la statuaire.
C’est notamment au Songe de Poliphile (que nous avons déjà vu dans notre premier article sur les jardins de la Renaissance) que l’on doit l’idée d’aménager le jardin par le biais d’un cheminement allégorique et partant d’utiliser des images fortes et parlantes dans la composition. Toutefois, l’idée de l’aménagement de statues au sein des jardins privées était déjà présente dans les jardins de l’Antiquité classiques. La statuaire figurait en effet, le dieu lare, protecteur du jardin, de la Terre (Cérès), des fleurs (Flora), de la forêt (Diane), enfin étaient représentées les nymphes, membres du cortège divin. D’autres sculptures évoquaient les Géants, les dieux-fleuves, Amour ou encore Bacchus. Ces motifs s’inspirent de la mythologie antique et peuvent s’interpréter comme une tentative de concrétiser les forces agissantes de la nature.
A la Renaissance, la statuaire prend un sens différent dans la composition du jardin. C’est encore à l’architecte à Donato Bramante et à sa Cour du Belvédère que l’on doit le nouveau tournant pris dans l’aménagement des sculptures dans les jardins. En effet, comme nous l’avons déjà dit dans notre premier article sur les jardins de la Renaissance, la cour du Belvédère était destinée à accueillir la collection exceptionnelle de statues antiques (le Laocoon, l’Apollon du Belvédère ou les célèbres dieux-fleuves le Tibre et le Nil) que possédait le pape Jules II.
Objet de curiosité et surtout d’émerveillement de ce jardin d’un nouveau genre , la statuaire devint par la suite un élément décoratif omniprésent.
Même si elle est parfois d’un intérêt peut-être secondaire pour leur force expressive (les plus belles pièces étant souvent réservées à l’architecture ou plus fréquemment à l’ornement de la demeure), les sculptures des jardins italiens ont énormément séduit en France notamment, par leur habile intégration dans l’ensemble architectonique formé par le jardin. Ici, ce sera une statue qui marquera le centre d’un parterre ou l’extrémité d’un chemin, là toute la rangée de sculptures soulignera l’horizontalité d’un mur ou le dessin régulier d’une haie. On pourra rencontrer aussi un long alignement d’hermès fermant l’un des espaces du jardin, ou encore des lions de pierre « montant la garde » de part et d’autre d’une porte ou d’une volée d’escalier. Les sculptures attirent l’œil et participent à l’organisation architectonique du jardin.
De même, on constatera qu’une statue de marbre clair se détachant sur un mur envahi de verdure, une haie ou encore le fond ombragé d’un bosco ; contribue largement à créer un savant contraste d’ombre et de lumière. En effet, une statue éclatante dans la luminosité solaire constitue un accent bien plus saisissant que des fleurs de couleurs. Ainsi, la sculpture peut se substituer au décor floral lorsque la température ou le temps empêche une floraison abondante. En outre, la sculpture est avec le temps façonnée par la nature et s’intègre parfaitement au jardin, en tant qu’élément d’animation, surprise pour l’œil d’un élément « vivant » au détour d’un bosquet ou au sein d’un labyrinthe.
Fréquemment liée au thème de l’eau avec laquelle elle s’accorde pleinement, la statuaire prend diverses formes les plus prisées étant le masque crachant de l’eau et les fontaines animales ou anthropomorphes. Boccace dans son Decameron n’évoque-t-il pas une fontaine, avec, en son centre, une colonnade surmontée d’une statuette d’où l’eau « jaillissait avec force » ?
Ainsi, par ses sculptures, l’eau animait de sa vie les figures conçues pour la personnifier ou tout simplement pour la mettre en valeur. A côté des animaux de pierre servant de fontaines, tels que lions, aigles, dauphins et poissons (peut-être héritage de la tradition de l’héraldique, puisque bon nombre de ces représentations animalières étaient parfois des emblèmes de famille utilisés comme motif de scansion dans les jardins. Nous évoquerons à cette occasion le fameux lion des Médicis ou l’ours des Orsini.), on rencontre constamment dans le jardin italien, la figure de la déesse Cérès, qui répand l’eau de ses seins, ainsi que les dieux-fleuves (Tibre et le Nil), puissants personnages étendues auprès d’une amphore d’où l’eau s’écoule en flot continu.
Ces sculptures antiques servirent certainement de modèles aux statues de dieux-fleuves exécutées plus tard notamment par Ammanati vers 1552 pour le jardin de la villa Giulia à Rome. Alors que dans les sculptures antiques, l’eau était évoquée par de simples ondulations de pierre, on trouve ici pour la première fois de l’eau jaillissant réellement d’amphores qui resteront l’attribut classique de ce genre de figures.
Plus qu’aucun autre thème ces représentations de fleuves se retrouveront jusques dans les jardins « classiques » et baroques. On les rencontre en effet, notamment à Versailles. Il n’est donc pas à exclure que le motif des dieux-fleuves ait joué un rôle important dans la statuaire de jardin de la Renaissance française et cela même si les témoignages restent vagues à ce sujet (tant ce motif est répandu ?).
Il est donc évident que le jardin de la Renaissance donne un rôle prééminent à l’eau. Pourquoi ? La lecture des textes littéraires qui ont marqué le jalonnement de la maturation de l’art des jardins nous en donne une explication. En effet, nous noterons que Pietro de Crescenzi, Boccace, Guillaume de Lorris et Jean de Meung ou encore Colonna ont tous donné une place importante à l’eau dans leurs œuvres. L’eau a un rôle et une signification « naturelle » dans le jardin : on la puise pour étancher sa soif, laver corps et vêtements ou tout simplement subvenir aux besoins quotidiens. Toutefois, cette signification pratique se double d’une signification métaphorique et poétique. En effet, Guillame de Lorris dans son Roman de la Rose insiste beaucoup sur le charme sensuel de l’eau. Dans une métaphore poétique, il nous explique que les jolis canaux qui traversent le jardin sont l’œuvre de Déduit, la personnification du plaisir. Chez Boccace, enfin, l’eau est surtout présente sous une forme esthétique : elle jaillit d’une statuette et retombe dans « une fontaine de marbre d’une éblouissante blancheur, dont les ciselures étaient une merveille ».
L’importance visiblement accordée à l’eau dans ses ouvrages s’explique, d’une part, par les propriétés même de l’eau, d’autre part, par le fait probable que ces descriptions s’inscrivent dans une continuité d’esprit, qui trouve son origine dans les modèles de jardins des premières grandes civilisations orientales.
En effet, les peuples du Proche-Orient ont su, longtemps avant l’époque d’Homère, utiliser l’eau à des fins esthétiques. Les anciens jardins orientaux, lieux de parfaite harmonie entre l’homme et le monde, se devaient avant tout de solliciter les cinq sens : la vue, par l’ordonnance architectonique et la beauté des plantes ; l’odorat, par le parfum des fleurs ; le goût, par la saveur des fruits ; le toucher, par la caresse du vent et l’ouïe par le murmure de l’eau.
Les formes données à l’eau sont tellement diverses que pour les décrire, il convient tout d’abord de distinguer les réalisations qui mettent en œuvre l’eau stagnante d’un côté et l’eau vive de l’autre.
Les grands plans d’eau calme, affectant une forme rectangulaire, ronde ou mixte (association de segments arrondis et anguleux) ont fait partie intégrante dès le départ de la physionomie générale du jardin renaissant italien. Le plan d’eau est conçu comme un miroir réfléchissant la lumière comme nous le montre la vue de la villa Castello réalisée par Giusto Utens Dans les vues d’Utens, les bassins comprennent en leur centre une petite île formée de blocs de pierre et souvent surmontée d’une sculpture ou d’une fontaine. Il semble que le motif de « l’isolotto », nom italien donné à ces petites îles, ait été appréciée dès l’Antiquité. Ce qui n’était au départ qu’un assemblage de blocs grossiers devint au XVIème siècle, une petite île aménagée avec art et cernée d’une balustrade (villas Lante, de Boboli).
Il faut également souligner que l’un des plus grands mérites des concepteurs de jardins italiens est d’avoir redécouvert toutes les possibilités esthétiques offertes par l’eau vive. Ses ressources semblent en effet, presque inépuisables. Elle peut susciter les impressions les plus diverses et les plus contradictoires. Filet d’eau calme ou jet d’eau impétueux et puissant, l’eau se pare de lumière ou vient s’obscurcir dans les ombres moussues, prenant ainsi tellement de visages qu’il semble difficile de les énumérer tous. Nous tenterons donc d’en dégager les principaux et d’en souligner l’origine.
La manière la plus simple d’utiliser l’eau courante est d’en aménager la source. Ainsi, l’eau pourra surgir de la bouche d’un masque ou d’un animal, le plus souvent un lion, traité en haut relief. Elle s’écoulera ensuite d’un bac de pierre rappelant la forme des sources si largement répandues dès l’Antiquité dans le bassin méditerranéen, ou encore dans certaines campagnes de Grèce ou d’Asie Mineure. En général, dans les jardins italiens, de telles compositions n’encadrent pas une source réelle, mais constituent un emprunt de l’ancien motif à des fins esthétiques et divertissantes. Ce motif sera repris dans des proportions plus réduites en France. En effet, on se souviendra des créations italiennes titanesques comme l’Apennin de la villa de Pratolino. Cette célèbre statue, sculptée par Giovanni Giambologna (1529-1608), monstre perché sur un îlot rocheux, semble surgir du massif des arbres en arrière-plan, tel un gigantesque homme préhistorique. Colosse effrayant aux cheveux et à la barbes hirsutes, couvert de plaques en rocaille, il appuie fortement la main gauche sur la tête d’un monstre couché à ses pieds, d’où jaillit l’eau.
Un autre modèle très largement présent dans les jardins de la Renaissance connu, quant à lui une plus grande fortune : c’est la fontaine jaillissante, qui projette dans le ciel une gerbe d’eau, retombant dans une vasque artistement travaillée. Mis au point dans l’ancien Orient, son principe fut repris dans la Rome antique comme en témoigne les fresques et vestiges de Pompéi . La technique de la fontaine jaillissante se retrouve aussi au Moyen Age, où de nombreux couvents possèdent de superbes fontaines. Pour Boccace aussi, les fontaines jaillissantes sont un décor essentiel du jardin, servant ici à symboliser le Christ « source de vie ». Dans son Decameron, même si elles ne revêtent pas la signification religieuse que leur attribuait le Moyen Age, elles portent en elles une certaine symbolique. La fontaine qui s’élève « au centre de la prairie » incarne la volonté de vivre des dix personnages réunis dans le jardin. L’eau reste donc attaché à la Vie.
Autre motif, non moins apprécié dans les jardins italiens, la cascade artificielle servait souvent à accompagner un escalier, qu’elle animait de son cours rapide. C’est à l’architecte Giacomo Barozzi da Vignola dit Vignole (1507-1573) que l’on doit son introduction dans la palette des « jardinistes ». Encore simple petit cours d’eau aux remous étincelants à la villa Lante, la cascade devint par la suite, dans de nombreuses villas, une chute majestueuse se précipitant de gradins en gradins. Parmi les cascades les plus impressionnantes, on citera celle de la villa d’Este.
Autre thème décoratif étroitement lié au motif de l’eau : la grotte. Les grottes sont présentes dans presque tous les jardins italiens de la Renaissance. Elles revêtent un charme particulier et pour nous, insolite. Leur forme la plus fréquente est la niche, enfoncement pratiqué dans les murs de bordure ou de soutènement et souvent associé avec les escaliers extérieurs. Ces niches forment tantôt des compositions modestes, agrémentés d’un filet d’eau qui s’écoule entre un manteau de mousse et de fougères, tantôt des ensembles presque monumentaux, comportant une puissante chute d’eau qui se précipite entre de hautes colonnes ornées de mosaïques. Dans certains cas rares, on a utilisé une source naturelle, mais ces compositions sont généralement artificielles.
La mode des grottes architectoniques du milieu du XVIème siècle, est peut-être la plus impressionnante. Elles s’inspirent des modèles antiques, les fameuses grottes de la Rome impériales. Pourtant, contrairement aux grottes antiques qui étaient surtout des aménagements de cavités naturelles, les grottes des jardins du XVIème siècle étaient tout à fait artificielles. On les construisait généralement à l’ombre de hauts arbres, contre un aplomb rocheux, à tout endroit qui aurait pu abriter une source ou une grotte naturelle.
Conçues selon un plan géométrique, de forme carrée, circulaire, ovale, octogonale et munies de fenêtres et de portes, ces grottes présentaient de l’extérieur l’aspect d’une construction même si le toit, recouvert d’une abondante végétation, semblait faire partie de la nature elle-même. De l’intérieur en revanche, elles perdaient tout aspect architectonique. Parois et plafond étaient faits d’étranges blocs de pierre ponce et de tuf. Leur humide pénombre, les ruissellements qui imprégnaient les murs et le vert brillant des plantes qui les peuplaient, donnaient l’impression d’être en pleine nature. Pourtant, la grotte italienne est le produit de l’étonnant mélange de compositions dans le style rocaille, de mosaïques, de fresques, de sculptures, de décors en « sgraffito », de collages de nacres, stalactites, cristaux, coquillages et coquilles d’escargot qui nous rappelle que les compositions des grottes maniéristes sont au croisement de la mise en scène fantasmagorique, grotesque et idyllique.
L’œuvre la plus marquante dans le style de la grotte maniériste est bien entendu la grotte du jardin de Boboli au Palais Pitti. Réalisée en 1583 par l’architecte Bernardo Buontalenti pour le duc François 1er Médicis.
Le thème de la grotte cher aux humanistes est sans aucun doute issu de la tradition. En effet, les grottes furent les premiers lieux de culte de l’Homme, on se rappellera à cette occasion l’Antre des Sorts de Palestrina qui était dans l’antiquité qualifié de « locus religiose saeptus » (un lieu religieusement sacré). Or la Renaissance, pourtant considéré comme marquant le point de départ des sciences modernes, était généralement plus près de la spéculation mystique que des sciences dites « exactes ». C’était l’époque de l’alchimie, de la « redécouverte » des sciences, mais aussi de l’occultisme.
L’image de la grotte, refuge du merveilleux est encore bien présente dans nos esprits, c’est pourquoi nous ne nous étonnerons pas d’en retrouvé la figuration dans les jardins de la Renaissance, refuge du rêve et de la science.
C’est pourquoi l’on comprend également l’engouement pour un autre élément essentiel du décor du jardin italien de la Renaissance : le bosco ou bosquet. Surface boisée, est inséparable des grottes qu’il protège de son ombre. Son aspect naturel fait facilement oublié qu’il a été placé là à dessein, pour enrichir la composition générale du jardin dont il est aussi l’un des éléments essentiels. C’est dans le bosco qu’on vient chercher ombre et fraîcheur, atouts si prisés des jardins méditerranéens..
Le bosco était très apprécié dans les jardins de la Renaissance car il offre au jardin un contraste bienvenu avec l’aspect domestiqué des parterres. Sa masse de verdure sert de cadre et de toile de fond, elle apporte à l’ensemble poids et substance. C’est pourquoi, les propriétaires montraient une prédilection toute particulière aux terrains situés en bordure de forêt. On retrouve ce motif dans le Songe de Poliphile et sa fameuse île de Cythère bordée d’une ceinture de bosquets.
Tout comme les grottes ou les sources, la forêt a toujours excité l’imagination des hommes. Ovide, dans ses Métamorphoses, nous conte comment les hommes se transforment en animaux, arbres ou plantes selon la volonté des dieux. La plus belle de ces métamorphoses et la plus parlante pour notre sujet, est sans doute celle de Philémon et Baucis. Ce couple chéri des dieux se voit accordé, après leur mort d’être changé en deux arbres sacrés plantés l’un à côté de l’autre et qui jamais ne seront séparés.
Cette image du « bois sacré » demeure des dieux, était connue dans l’Antiquité, depuis des millénaires. Selon la mythologie antique gréco-romaine, les forêts étaient peuplés de nymphes qui vivaient à l’abri des arbres majestueux ou au bord des sources et ruisseaux ou encore dans les grottes. Elles étaient accompagnées du dieu Pan, le roi de la forêt, et de satyres (êtres hybrides au corps d’hommes et aux pattes de chèvres). Le bosco du jardin italien porte le souvenir de ces images antiques, et nous présente ces personnages mythologiques sous forme de sculpture. L’importance du bosco dans le jardin de la Renaissance, apparaît notamment dans la lunette de la villa de Pratolino peinte par Giusto Utens. On y voit des chemins tracés au cordeau traversant de petits bois richement décorés de sculptures et de jeu d’eaux. L’ombre de ces arbres abrite bassins, étangs et grottes obscures. Ce bosco étendu servira d’ailleurs de modèle à de nombreux jardins postérieurs.
Récapitulons maintenant les éléments distinctifs des jardins de la Renaissance : terrains en pente sur lesquels reposent de hautes terrasses, escaliers monumentaux, parterres, pergolas, statuaire à l’antique, eau, grottes, bosquet.
Ces éléments nous permettent de dégager les objectifs qui sous-tendent la composition du jardin italien de la Renaissance : animation, structuration, direction du regard, mise en volumes, réflexion et esthétique.
Mais qu’en est-il en France ?