Afin de mieux comprendre comment fut construit le jardin d’Amboise au XVIe siècle, il convient de faire un petit retour en arrière afin de déterminer à quoi pouvait ressembler le jardin dans les années 1490. Ce qui était acquis et ce qui était sur le point de changer. Aussi, je vous propose un petit récapitulatif du jardin médiéval^^
La forme empruntée par le jardin médiéval tire sa typologie essentiellement d’un contexte religieux. Thème récurrent dans la Bible et dans certains textes religieux (tel que le Paradis perdu, le Cantique des Cantiques, certains passages de la Genèse), le jardin d’Eden fut un sujet largement décrit, débattu et représenté au Moyen Age. L’iconographie très riche de ces jardins médiévaux nous permet de déterminer une variété dans l’ornement, puis une évolution dans la typologie.
C’est au sein des monastères qu’apparaissent les premières formes fixes du jardin médiéval, comme en témoigne le plan de l’abbaye de Saint-Gall (Suisse) daté de 820 ap. JC.
Le jardin prend la forme d’un espace clos, souvent par des plessis, palissades faites de branches tressées. Sa fonction première n’est pas l’agrément, mais l’utile. Il se compose d’herbes médicinales ou aromatiques (herbularius) ; d’un potager (hortus)et d’un verger (viridarium).
Toutefois, très tôt l’idée de mettre en scène cet espace utile se fait jour afin de pousser l’observateur au recueillement, à la communion avec Dieu.
On cherche à évoquer le Paradis perdu, l’élément de vie devient prépondérant dans la mise en scène et plusieurs formules sont élaborées.
Tout d’abord, il convient d’ordonner l’ensemble, les plantations sont organisées en carrés de dimensions réduites, séparées par des allées étroites en croix qui rappellent la croix du Christ.
Au XIIe siècle avec le développement du culte de la Vierge Marie, le jardin devient un lieu de dévotion dédiée à la Vierge et à l’Enfant. A cette époque, les exégèses du Cantique des Cantiques se font plus nombreuses et le thème du jardin de Marie se développe. En effet, l’idée se fait jour de lier l’image de la Vierge à celui « [d’] un jardin clos, [d’] une source scellée ».
Une miniature extraite des tableaux et des chants royaux de la confrérie du Puy-Notre-Dame d’Amiens montre la Vierge dans une enceinte cernée de palissades ; une banderole porte cette inscription : « Le jardin clovs ou crût le vrai lorier (sic) ». L’allusion est claire, ici le Christ est assimilé à l’arbre de vie (ce qui explique pourquoi on trouvera alternativement au centre des cloîtres d’Eglise un arbre, dédié à Jésus-Christ ou une fontaine, source de Vie, dédiée à Marie).
. L’art des jardins du Moyen Age ne se limitent cependant pas à l’aire religieuse et bientôt le jardin privé se développe dans les demeures les plus luxueuses. Largement inspiré de l’iconographie religieuse au départ, il s’en éloigne petit à petit pour donner forme au jardin issu du roman courtois.
La littérature courtoise joue un rôle essentiel dans l’évolution de la société médiévale et l’art des jardins devient indissociable de cette littérature. En effet, nombre de roman courtois font la part belle au jardin qui abrite bien souvent les idylles. C’est pourquoi il sera largement décrit. On citera à cette occasion notamment le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, rédigé entre 1275 et 1280.
Le jardin devient donc un lieu de plaisance. Il conserve son caractère utile, mais laisse place à l’agrément par l’odorat et la vue. Ces deux sens étant flattés par le parfum, la forme et les couleurs des fleurs, et la vue du promeneur sera sollicitée par l’organisation en « préau » (carrés de fleurs et de pelouse) régulier du jardin.
Cette disposition se retrouve dans les jardins du Louvre et de Saint-Pol au XVe siècle. D’après les énumérations des comptes de Charles V, il semble que chaque carreau soit planté d’une espèce à la fois. C’est également ce qui apparaît sur les jardins de la peinture flamande, où s’il est rare de pouvoir identifier chaque espèce représentée, du moins peut-on voir au feuillage, et à l’aspect général, que dans chaque carreau figure une variété différente.
De dimensions restreintes, le jardin est parfaitement structuré par ses clôtures qui dessinent des formes géométriques. Les plantations y sont contenues dans de strictes limites, soit dans leurs carreaux entourés de briques ou de treillis, soit dans de gros pots comme les œillets. Les allées rectilignes, formées de sable ou de gravier, passent entre des plates-bandes carrées rectangulaires. La taille en plateaux ou en gradins des arbres traduit une vision graphique et structurée de l’espace. A l’intérieur de l’espace clos du jardin, les pavillons de verdure forment autant de petits enclos, d’où le jardin sera appréhendé par séquences successives.
L’espace du jardin est celui d’un univers mis en ordre, dont le plaisir vient de la régularité de l’ordonnancement alliée à la diversité des sensations qu’il procure.
Le jardin médiéval ne cherche pas à s’intégrer au paysage : son caractère fortement architecturé en fait plutôt une chambre de verdure au sens propre du terme, un prolongement de la demeure, dont on acclimaterait les aménagements à la nature. La construction de galeries, espaces de transition entre la demeure et le jardin, s’inscrit dans cette logique : construction ouverte sur un ou deux niveaux, elles ouvrent l’architecture sur le jardin, tout en introduisant souvent, par leur décor, le jardin dans les intérieurs.
Avec le voyage de Charles VIII en Italie au début de la Renaissance, c’est l’ensemble de la conception de l’environnement du château qui va se trouver bouleversée. La conception médiévale que nous venons rapidement de voir laisse apparaître la volonté de concevoir la nature comme inamicale du moment qu’elle n’est pas ordonnée par la main de l’homme. Le jardin n’est pas un ensemble qui répondrait à la demeure c’est une pièce extérieure qui lui est adjointe. La Renaissance italienne va placer le jardin dans une autre logique…